tout ça ne fait pas un poème 

Emprunter la voiture de votre mère sans lui dire pourquoi, apporter tout un stock de petites enveloppes et rouler d’est en ouest jusqu’à l’océan le plus proche. Tous les 100 kilomètres environ, repérer un panneau comportant un nom de lieu et une distance. Par exemple, Saint-Glinglin-des-Meumeux, 3 km. S’arrêter ensuite dans le premier restoroute venu et acheter le journal local.

En utilisant un logiciel de traitement de texte doté d’un correcteur d’orthographe particulièrement psychorigide, écrire quelques lignes de texte constitué de noms propres et de mots étrangers, sans activer la correction en cours de frappe. Lorsque votre page est bien rouge de tous les soulignements du correcteur, accepter une à une les corrections proposées.

Lors d’un salon du livre, trouver un poète dont le livre vous semble particulièrement mauvais. Le choix est vaste. Acheter son livre et demander, l’œil embué (mais pas trop), une dédicace. Donner un faux nom et payer quand même. Réécrire plusieurs poèmes, avec les mêmes mots dans un ordre différent.

Trouver un bon fournisseur de madeleines et se coucher de bonne heure pendant plusieurs mois, voire années. Laisser pousser sa moustache (pour les hommes) ou apprendre à poser élégamment son index gauche sur sa joue (pour les femmes, mais pas que). Partir à la recherche de quelque chose. Chercher du côté de Guermantes, par exemple.

Acheter un rouleau de papier aluminium et découper quatorze feuilles de 12 x 12 cm. Les froisser sans trop les comprimer, mais de façon à former quelques plis bien marqués. Sur une surface plane, les étaler du plat de la main. Tenter de lire sur chacune une lettre dessinée par les plis. Classer en ordre alphabétique ou anti-alphabétique.

Dans une réunion particulièrement ennuyeuse, prendre des notes de façon studieuse. Sans lever le stylo de la page, inscrire les mots entendus à la suite les uns des autres, en un rythme d’écriture fluide et constant. Lorsqu’un mot est transcrit entièrement, amorcer l’écriture de celui qui est prononcé à cet instant précis. Continuer jusqu’à couvrir la moitié d’une page.

Allumer la télé à l’heure du journal télévisé. Ne pas regarder, écouter seulement. Noter le prénom du premier homme interviewé, puis le premier pays étranger faisant l’objet d’une information et enfin le prénom d’une femme interviewée ou, à défaut (vu la rareté de la chose) un deuxième prénom d’homme que vous féminiserez si vous y tenez.

Approcher une chaise de la fenêtre de façon à bien voir les immeubles d’en face. Choisir celui qui ressemble le plus à un radieux HLM. Repérer une fenêtre ouverte sur une pièce où il n’y a personne. Décrire systématiquement (de gauche à droite et de haut en bas) et le plus précisément possible ce que vous y apercevez. S’interrompre dès que quelqu’un entre dans la pièce.

Ouvrir l’album de famille ou la vieille boite à chaussures qui en tient lieu. Prélever vingt-deux photos de taille identique indépendamment de ce qu’elles représentent. Les regrouper en une pile et mélanger soigneusement tout en formulant une question importante ; par exemple, devrais-je changer de couleur d’encre lorsque j’écris des poèmes ?

Penser à un gros mot, le mot amour par exemple. Chercher un mot qui ressemble au premier mais qui soit encore plus gros, le mot armoire par exemple. Essayer de calculer combien de fois le gros mot peut entrer dans le très gros mot. Puis chercher dans votre dictionnaire personnel autant de gros mots comparables au premier qu’il le faut pour couvrir tout le champ sémantique du très gros mot.